De la nécessité de tomber
Publié le 31 Décembre 2019
J'ignore si c'est vraiment une nécessité. Tomber, s'écorcher, se ramasser la gueule.
Le fait est : on connaît tous des chutes.
Des chutes, comme une rupture dans la linéarité de la vie. Une rupture de soi, une rupture en soi. Dire au revoir à la personne que l'on était avant, dire adieu.
La chute laisse des cicatrices, toujours. Au sens propre, ou pas. Visage défiguré, enveloppe corporelle modifiée, schémas internes bouleversés : la chute est un point de non retour. Le passé ne sera plus. Le retour en arrière ne sera pas possible.
Parfois la chute est stupéfiante, impressionnante. Elle laisse des séquelles à vie, sur un corps qu'il faut se réapproprier : l'habitude de son corps n'est plus, l'expérience corporelle est nouvelle. L'image de soi aussi, qu'il faut habiter de nouveau. Se regarder dans le miroir, se reconnaître, malgré le trauma, malgré la cassure. Réinvestir un corps décousu.
La fissure au fond de soi est plus discrète, mais moins silencieuse. Son invisibilité ne rend son appel que plus irrépressible.
Parfois la chute est interne. Crise brutale ou lente glissade, vers l'abîme, vers l'abandon. Une sorte de capitulation. Une dégénérescence pour mieux renaître ensuite ? Un renversement, puis un effondrement. Le quotidien s'arrête. La rupture impose une pause, un arrêt : une rémission. Errance dans des couloirs d'hôpital. Des médicaments absorbés comme une promesse d'espoir, des regards vides, des gens comme toi, perdus. Et puis il faut recommencer à prendre part à sa vie. Réinvestir les gestes du quotidien les plus banals. Regarder le soleil. Reprendre possession de soi.
Repartir après la chute, se relever. Ce n'est parfois pas le plus dur. Parfois le plus dur c'est des mois, des années après, quand le souvenir corporel, sensoriel, refait surface. La chute est revécue, comme une réminiscence douloureuse. Et là, il faut faire le deuil de soi.